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Il est, comme chacun le sait, une longue généalogie qui va – entre autres – de Platon à Descartes, en passant par Plotin et saint Augustin, généalogie qui condamne les illusions des sens pouvant amener celui qui y acquiesce à l’erreur. Nous souhaiterions en accentuer une des mises en garde afin de remettre en question l’apparente évidence qui pose une scission radicale entre ce que l’on perçoit et nous-mêmes. Il s’agit, non d’en nier totalement la réalité – seul l’halluciné nierait ne pas être la table qui lui fait face – mais de dévoiler ce qui, par-delà les apparences, relie tout ce qui appartient à ce que Spinoza nommait la substance unique.
L’erreur universelle engendrée par la vue donne à croire que l’être qui vit, regarde, juge et pense est totalement extérieur à ce qu’il regarde, juge et pense. Celui qui voit et ce qui est vu n’auraient entre eux d’autre lien que le reflet, dans l’œil, de l’image perçue. Pourtant, l’émotion perçue intérieurement ou encore le souvenir que l’on en peut avoir – la mémoire involontaire décrite par Marcel Proust garde encore, un siècle plus tard, tant de mystères – interrogent et rejettent loin de nous toutes les solutions faciles.
À la différence de Descartes qui, à la fin de la Méditation I, reconnaît lucidement que « ce dessein est pénible et laborieux » et se méfie de la pente l’amenant insensiblement à l’ancienne intraitable habitude, car « une certaine paresse [l]’entraîne insensiblement dans le train de [sa] vie ordinaire », rares sont ceux qui qui peuvent longtemps résister à cette « paresse », au triste rouleau compresseur que fait naître la fatigue du quotidien.
Or, cette certitude à laquelle nous amène la conscience non pas d’être au monde mais d’être le monde, sans cesse traversés par ce qui le meut et le nourrit, l’enrichit et l’illumine – y compris et surtout spirituellement – nous permet de déplacer le point de vue de ce qui nous y unit.
Ce point de vue s’appuiera sur l’expérience vécue au moment de l’écriture du poème.
Cet acte porte sa singularité en ce que celui qui tient la plume devient bien vite, quand l’élan créatif se met en mouvement, le scribe d’une puissance dont il n’est plus le maître.
Cette réalité n’a rien d’une révélation puisque Platon, déjà, dans Ion, faisait dire à Socrate que le « poète en effet est chose légère, chose ailée, chose sainte, et il n’est pas encore capable de créer jusqu’à ce qu’il soit devenu l’homme qu’habite un Dieu, […] que son propre esprit ne soit plus en lui ! » (10b) Le Nietzsche de La Naissance de la tragédie lui fait écho en décrivant le poète lyrique comme celui qui projette hors de lui-même des « objectivations » de lui-même, en cela qu’il ne fait plus qu’un avec une entité qui, déjà, est beaucoup plus que lui-même : « les images du lyrique […] ne sont autre chose que lui-même, et, en quelque sorte, seulement des objectivations diverses de soi-même. C’est pourquoi, en tant que moteur central de ce monde, il peut se permettre de dire « je » : mais ce Moi n’est pas celui de l’homme éveillé, de l’homme de la réalité empirique, mais bien l’unique Moi existant véritablement et éternellement au fond de toutes choses et, par les images à l’aide desquelles il le manifeste, le poète lyrique pénètre jusqu’au fond de toutes choses. »
Lorsque nous écrivons, les idées nous prennent de force sans que nous y ayons vraiment part. Cette expérience est universelle, traverse toutes les époques, et est nommée Maître intérieur par saint Augustin, et, plusieurs siècles plus tard, énoncée à nouveau par Rimbaud et Lautréamont. L’être qui manie la plume ressent bientôt une vitalité intérieure, une prise de possession de lui-même par une puissance qui le fait écrire. Dès lors, quiconque aura l’énergie, l’endurance de supporter cette puissance qui le fait avancer sur le long terme vivra en lui-même l’ivresse dionysiaque du Verbe.
Toutefois, toute écriture n’accroche pas, n’attire pas, ne se relie pas à cette énigme. Il lui faut pour cela l’effort de la pensée sur la durée, l’effort de poursuivre puissamment – de faire advenir la pensévérance afin de se mettre à l’écoute de ces appels que Marcel Proust nommait les signes. Ces appels, qu’il nous revient de mettre en forme, sont des dons uniques et il est de la responsabilité de celui qui en bénéficie d’y répondre. Albert Camus, dans L’homme révolté, condamna à ce titre Arthur Rimbaud de n’avoir pas persévéré dans ce que la nature lui avait donné comme don, et déclara fort justement l’absurdité de l’avoir « déifié pour avoir renoncé au génie qui était le sien, comme si ce renoncement supposait une vertu surhumaine. […] il faut dire au contraire que le génie seul suppose une vertu, non le renoncement au génie […]. »
Mais sans style, le lien n’opère pas, car c’est moins nous qui trouvons le style que lui qui, soudain, nous happe – et nous entraîne avec lui dans son rythme, son élan, son évidence, comme si ce style avait préexisté et ne faisait que poursuivre sa danse en nous entraînant avec lui – tout en testant notre endurance.
L’énigme que constitue le flot nous envahissant et nous entraînant, que Nietzsche nommait l’expérience dionysiaque par excellence, saint Augustin et Malebranche la vision en Dieu, demeure le mystère et s’épuisera moins qu’elle ne s’asséchera en la réduisant dans quelque crétinisme système neurologique ou psychanalytique.
L’envahissement, l’ivresse, l’illumination qui nourrissent le créateur ne lui sont pas propres – ils le traversent comme l’exprima William Blake dans les visions qui nourrirent ses œuvres picturales et poétiques. L’être qui écrit ou peint n’est plus lui-même mais devient malgré lui – quoique par décision consciente de sa volonté de se faire posséder par cette puissance – le scribe, la plume, le pinceau de cette puissance.
Une illustration de ceci apparaît quand nous cessons de tenir la plume et que nous relisons ce qui vient d’être écrit, nous sommes nous-mêmes dans l’extase de l’élan, des idées, des tournures que la puissance qui s’y est déployée a mis en mouvement en nous habitant.
Afin que les mots ne brisent pas l’élan vers cette interrogation des profondeurs, nommons « cela » cette énigmatique puissance dont nous constatons l’énergie tout en en méconnaissant la nature.
Dès lors, inventer est en dévoiler la présence agissante.
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