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La lucidité de l'être au sein de la totalité

S’échappe la poésie, de Claire Garnier-Tardieu, recueil paru aux Éditions Littérales ; prix 10 euros. Elle a reçu le prix « Patrice Fath » 2020

    Le recueil de Claire Garnier-Tardieu a l’envoûtement durable des œuvres qui approfondissent l’énigme plutôt que de l’assécher par des réponses illusoires – car toujours insatisfaisantes. Ainsi s’interdit-elle lucidement de poser des mots – qui toujours freinent la saisie claire de l’énigme – sur ce qui doit faire l’objet d’une expérience : « Ne pas nommer la présence / Elle cesserait d’être / De nous manquer infiniment ». Comme elle-même l’exprime, abolir l’indicible remplace l’obstacle par une illusion qui en fausse l’étonnement.

    Ces pages admirables nous donnent de même à vivre l’insuffisance du voir qui nous condamne à manquer, perpétuellement, dans le mouvement perpétuel du réel, sa propre source : « La caravane des nuages s’échappe saine et sauve vers l’oasis ». C’est de son enivrement dont il est question quand, donnant son verbe au mystère, la « nuit nous offre la face énigmatique de l’univers infiniment lent à esquisser son sourire ». L’accueil du non-savoir comme tel n’a pas la niaise béatitude des sots – fiers de leur ignorance – mais la l’ivresse lucide et tragique de ce dont l’homme ne peut rien savoir.

    Pour faire sentir stylistiquement l’universel entrelacement des êtres, la poétesse relie dans un même imaginaire et un même élan la sublime correspondance des mots et des choses : « La peur et le chagrin ont disparu la colère n’est plus le sang redevient vert comme celui des grands arbres penchés qui trempent leur feuillage dans l’eau du fleuve calligraphiant des messages d’or et d’émeraude en voyage vers la mer » ou encore « « Est-ce un chant une danse infinie qui nous lie un rêve entré en transe fécondé par un seul et même cri ? » La poétesse énonce l’enchâssement universel des mots, de la matière, des êtres, du rythme, en donnant à voir ses « pas d’enlisement sans fin dans cette terre grasse et bonne en priant pour qu’elle ait toujours le dernier mot », voulant dévoiler ce vécu du corps défaillant, pour qui le « pas de mémoire peu à peu oublieux de l’âge de fer et de feu qui fut le nôtre » ne parvient plus à l’âme.

    Chez Claire Garnier-Tardieu, le corps demeure, envers et contre tout, une source d’ivresse et d’éveil, de lien et de vie, dans son mouvement vers le rythme dionysiaque. « J’avais oublié la danse les pas tourbillonnants de la vraie vie mes chaussons d’herbe en feu m’emportent où la mort n’est plus qu’un dimanche souriant tous les êtres rassemblés dans la blancheur luxuriante ». Ce que Nietzsche nommait génialement « l’ivresse du devenir » retrouve ici une fraîcheur toujours nouvelle : « nous jaillissons joies neuves sur la blancheur des voiles », « Ainsi va l’histoire le seul sens possible unique et dévasté où j’abonde comme flux intarissable océan vertical », « où bat le cœur de ce que l’on nomme Univers et de toute vie emmêlée à la mienne » ou enfin « L’ici et maintenant tiennent le cap / Il faut abandonner le navire ou inviter l’océan à son bord »

    La grandeur du Verbe comme mise à l’écoute des vibrations les plus essentielles nous est offerte, tel un diamant, par Claire Garnier-Tardieu.

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