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Murielle Compère-Demarcy

Sommes-nous au monde ou sur sa passerelle, à tenter de l’approcher tel un météore – astre vivant (car « la vraie vie » est bien , maintenant) et astre de chair brûlant sur son axe singulier, tournant sur l’orbite de sa désintégration particulière, vociférant l’Univers dans l’Écrire-trou noir-bouche torve de l’abîme dévié toujours de justesse, à se dévier soi-poussières d’étoiles uni vers l’infini cosmique – pour ne pas mourir trop tôt météorite ?

Ne pas mourir trop tôt en mots de météorite qui ne laisse pas nécessairement sa trace…

Ne mourrions-nous pas au monde d’atteindre le réel ?

L’enjeu ne serait-il pas plutôt de vouloir/désirer étreindre le réel pour véritablement vivre, dans la perspective d’un chemin de croix scriptural mais, dans une perspective où l’objet (le monde) et le sujet (l’écrivant) sans cesse s’appellent, s’entrechoquent, se croisent, s’abouchent l’un à l’autre par le toucher-couler des mots ? Dans l’espace sidéral et de sidération où l’abîme et l’extase communient/communiquent sans s’atteindre pour continuer de vertigineusement s’approcher ?

Faisant jaillir/resurgir le réel dans sa forge pure d’alchimique incandescence…

L’absence ardente du poème n’étreint-elle pas le réel de ses sens déréglés pour tenter de l’approcher après l’avoir atteint dans une sorte de fulguration en ces éclaboussures bruyantes que font les hommes dans les flaques de l’heure éphémère ?

Est-il possible d’atteindre le réel grâce à l’écriture ? Tisonnons cette incandescence : étreindre plutôt qu’atteindre le réel -croire à un sens de la vie renouvelé par le Poème-, ne serait-ce pas en condenser et convulsionner l’émission par la bouche torve et l’oreille hurlante et le rythme martelé du Poème, pour en incarner (enfin) la vie ?

Atteindre le réel grâce à l’écriture serait rendre (ingérer, vomir) le recto sans le verso de la vie ; l’étreindre par le Poème, le reformuler : le restituer dans la réalité de ses rêves et de l’imagination. 

Coulons l’homme total (et non l’homme social) dans les mots, risque encouru par la minorité d’êtres seuls qui suivront, pour certains, cet engloutissement jusqu’à mourir d’écrire.

Mourir d’écrire, d’encourir le risque de s’éteindre d’avoir voulu étreindre le réel, autrement dit : VivrÉcrire lorsque l’appel d’air invoqué s’acharne à vouloir s’exprimer (se transmuter) dans la profération même de son manque. « Je participe à la gravitation planétaire dans les failles de mon esprit », écrivait Artaud dans ses Fragments d’un Journal d’Enfer

Autre reprise effectuée dans le vortex de cette expérience des limites traversée par l’Écrire, quand l’Écrire est le Hurle-Vivre : le réel que l’on tenterait alors de rejoindre, quel serait-il ? Antonin Artaud écrivait depuis « ce quelque chose (…) à mi-chemin entre la couleur de (s)on atmosphère typique et la pointe de (s)a réalité » … 

Quel Corps-Conscience, singulier mais universel, quel Texte, invisible mais légendaire, réarticule(ra) en son mantra poétique le monde, suivant notre trajectoire d’êtres manqués ?

Écrire, ne serait-ce pas perdre mots, perdre Langage, pour retrouver les origines chamanes de la langue sur le chemin de crête d’un réel évanoui, revenu à lui-même, à sa conscience d’Univers-Monde par la force du Poème, à la pointe de son esprit, dans le tourbillon de ses images et de son rythme ? 

Dans l’immanence d’une lumière de transfiguration reformulant le monde par son alphabet voyant…

L’impasse de l’Écrire enjambe ses propres allers-retours par-delà ses limites, après avoir percé la baudruche du soi sans le faire éclater mais l’avoir dégonflé/vidé de l’orgueil, en quête de retrouver la plénitude à partager d’un monde. Un cosmos de cellules, total et non systémique, organiquement électrique, tendu vers l’alchimie recherchée (plutôt qu’un « paradis »). La route que cette impasse emprunte, se transcende dans l’immanence d’une réalité objective effusive et transfusée, au même titre que l’enclos à ciel ouvert (une volière) de l’esprit dont les possibles aventures restent encore à déterminer dans leur profond et prodigieux vertige, à explorer dans toutes leurs potentialités. « La vraie vie » est ici, maintenant, même si elle est ailleurs, et si l’impasse est le lieu-dit paradoxal, laborieux passage, du poète pourvoyeur de son inédite lumière, elle porte ses jambes, sa tête, son cœur, tout son esprit, vers ce point du jour de la vie quotidienne transfigurée.

Impasse provisoire -où rebrousser chemin revient à continuer d’avancer, « de l’autre côté de l’existence, et non pas du côté de la mort » (A. Artaud)- le chemin de l’Écrire ne serait-il pas, après tout, après rien, ce vivier de constellations fulgurantes où le réel n’a de cesse et s’étonne de prendre sans ambages et pour encore le densifier le vent de l’éventuel ?

 

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