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La passion s'unifie dans le Verbe

« Octobre » de Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud

PhB éditions

10 euros

Une forme d’étonnement lumineux gagne le lecteur poursuivant la lecture d’Octobre. Dans ce long et fascinant dialogue où le cœur se dit, se déploie, Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud installe une correspondance que l’on peut, sans la moindre exagération, relever d’une sorte de miracle.

La crainte d’un simple entassement, voire d’une juxtaposition superficielle de poèmes, où ce que Nietzsche nomme la « moraline » fatiguerait la lecture – cette crainte s’efface dès les premiers vers. Tous deux, poètes rares et donc porteurs d’une irréductible individualité, disent l’attachement sous une forme qui leur est singulière. L’unité, c’est ici l’expression d’une puissance intérieure où le désir de vérité ne cède rien à la magie poétique. L’équilibre au-dessus du fil du rasoir, tel est le cœur de cet Octobre.

            Un premier émerveillement nous vient, chez Alain Brissiaud, de son lyrisme. Ce dernier, par son rythme propre, tire le lecteur vers l’avant du chant, dans la pure durée du cheminement, tel le récit de l’âme. À l’image de ce dont Orphée chantait les louanges, le lyrisme, ici, ne ment pas – comme le rappelle cet extrait : « si j’étais celui que tu crois / je dormirais dans le fossé / sous le talus / sans peur ni crainte / j’irais vers toi sans rien écrire / vagabond / il n’en est rien / plus tard / j’ai su que tu voulais mener notre histoire / à son terme / tu es de celle qui dirais pour moi une prière[1] » – c’est un chant qui rappelle le réel à la vérité et à la pureté du présent : « Tu sais parfois / quand je m’éveille / c’est plus que la nuit / ce moment / qui dit l’effacement de ta présence / tant / qu’il n’est plus de dehors / et non plus ton visage / juste le souvenir souviens-toi / le rêve où il nous faut renaître / et croire / sans cesse / sans personne[2] » ; « Mes yeux te cherchent dans l’aube du chemin / vas-tu venir / comme parler et souffrir se chevauchent / se jette l’ombre de ta voix / sous mon pas / tu n’as plus la pâleur du ventre / juste une brusquerie / une semence absurde / mes yeux pénètrent en toi / creusent / se dissipent / bourdent d’amour où tu n’es plus toi-même / mélancolie cela[3] ». Dès lors sommes-nous tout à la fois émerveillés et comme libérés d’une crainte latente : oui ! Le lyrisme peut – et doit – être l’élan lumineux de la vérité de l’être ! Nietzsche l’avait déjà affirmé dans la Naissance de la tragédie. Alain Brissiaud l’illustre magnifiquement ici.

            Dans ce dialogue lui répond Carole Carcillo Mesrobian avec le rythme âpre, toujours juste par lequel s’identifie chacun de ses recueils : « Tu dis mon nom comme on nomme un passage / dans la gorge des nuits / tu délies / l’étranglement des solitudes / sur l’ombre des matins[4] ». L’âme s’expérimente là où l’avenir se conjugue avec ce qu’il y a en nous de plus vital : « Octobre / Sur l’autel des aubes / l’onde sacrificielle / du sang des vignes décousues / imbibe déjà les cimes / au tranchant de la nuit / Les séquelles de l’ombre / secouent quelques oiseaux / vifs et ocres de terre / Ils s’enfuiront saisis / par un feu qui se joue des brindilles obscures / comme un sabre rougi / balafre le cobalt en déchirant le bruit[5] ». C’est la pure beauté dans cet élan où l’âpreté dit l’instant et la lumière d’un réel qui nous sculpte, nous cisaille, nous crée.

Que l’on pardonne au modeste auteur de ces lignes de longuement citer les deux poèmes – avant-dernières pépites de ce rare écrin – qui se font face, aux pages 60 et 61, sorte d’apothéose de puissance des profondeurs du cœur et de l’esprit, où l’éclat du lyrisme d’Alain Brissiaud s’unifie à celle d’une métaphysique puissamment artaudienne de Carole Carcillo Mesrobian (voir à ce sujet notre article sur lenchassement.com (La poésie comme enchâssement dans l’unité métaphysique – L’enchassement (lenchassement.com) :

« Dans le sous-bois / mes pas s’enfoncent dans la terre / nul murmure / les grands troncs gardent l’ombre pour eux / depuis la cime jusqu’à la terre / existe un vertigineux va-et-vient / brassant toutes tes pensées / poussière au vent ton visage si proche / ta robe courte / tu es dans le monde de cette lumière / pieds nus / clairière de tes cheveux / tout autant la lumière est le mot d’ordre / notre amour aussi / vite / le ciel n’a plus de couleur »

À ce sublime élan lyrique d’Alain Brissiaud répond la fulgurance de Carole Mesrobian : « Le monde est l’incendie qui avale sa flamme / ici / si petite / ami / je regarde / entre nous s’étiole l’invisible / sur la tranche d’un vide / apparaît la reliure d’un recueil / inédit / persistant / obstiné et vivace / Les reliques d’autrefois enchâsseront l’espace encore / jusqu’à son terme / il sera mu d’encre muette / plus autre / dans l’impérissable verve d’un mutisme / fertile / où germe le sédiment vertigineux d’une revanche / d’arrachés »

                Invitons dès lors les lecteurs de ce simple écho à se tourner et lire l’ensemble de ce recueil admirable – afin qu’ils en sentent, d’eux-mêmes, ce que le talent et l’émotion vraie peuvent produire de plus rare.

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