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La main et l’énigme

L’écriture me renvoie à ma main. Celle qui écrit. Celle qui touche.

Tordue dans le sommeil : se laisse guidée par le hasard. Difforme. Le labyrinthe des songes. Elle invente un mot. La phrase inattendue.

Ma main porte à ma bouche un fruit vert. Acide. Un second : de même. Il faudra attendre.

L’écriture me renvoie aux indécisions de ma main. Suspendue au-dessus du clavier ou de ma tablette-outil.

La surface aride des écrans pour vis-à-vis. J’esquisse un geste. Ne saisis rien qui tienne dans la paume. Je vois à travers. Un visage. Une matière: je devine un présent. Entre les pixels. Je lis un destin monté de toute pièce.

Ma main indécise rêve de sa propre ligne de chance. Entre les lignes syntaxiques. À intervalles réguliers: je m’immerge.

Ma main s’interroge sur les liens: entre le corps et l’objet. Ma tablette-outil me prolonge. Je maîtrise sa configuration. Elle prolonge aussi mon indécision. Je me trouve devant un mur. Un écran-miroir de fumée.

Le lien entre le corps et la décision: la main intermédiaire tergiverse. Interminable vie de l’idée: je me creuse sans fin. Entre deux grands vides.

J’ai oublié de parler du sens. Le travail a-t-il un objet: pourquoi ? Pour qui ?

L’écriture revendique l’oisiveté du corps. Sa souveraineté: ma main est un territoire. Sans frontière : je m’autorise. Entre deux abandons plus grands. Plus vastes abandons du corps.
Je songe au destin de la matière. À sa manière, l’écriture me console du destin de la matière.

Ma main résiste au travail. Se refuse à la tâche. Celle qui ne produit pas la substance dont je fais corps.

Ma main S’érige contre tout contrat précaire. Proteste. Se refuse à négocier son employabilité. Ma main ne sert pas. À rien. Je suis aussi ce que je ne fais pas.

(Pourtant : l’évidence du monde tel qu’il est !! Ma main se rend à l’évidence du réel: sa violence de loup pour l’homme.)

L’écriture a des mauvaises manières: j’écris de travers. Ma façon à moi de ne pas obtempérer de bonne grâce. D’être souverain de mes errances.

Quelques errements orthographiques rident la surface de l’écran. Ma façon à moi de bouder la leçon de grammaire. Le maître a t-il remarqué mes espiègleries ?

Ma main rêve d’être asociale. Camper sur ma solitude. Je me fais des idées.

Le refus est un système capricieux: sans territoire. Sans limite: je me déborde. Passe à côté de la ligne droite.

Ma main n’obéit qu’au désir: un fruit mûr – un pixel à l’endroit, un pixel à l’envers pour se divertir. Change d’outil: élague et greffe. Saisit un plein de sens entre deux abandons au destin de la matière.

Faire diversion. Entre deux retours aux bonnes manières.

L’intervalle du désir cède sa place à l’interligne 1,5.

L’écriture me renvoie à ma main. Qui trace les contours de ton visage mais s’interrompt. Tout juste avant que le cercle se referme. Sur nous.

J’en reviens au sens. Ou bien à l’écran de fumée. Pour se divertir. Me divertis.

Ma main trace sans relâche les contours d’un plein de paroles pour ne pas avoir à dire le cercle refermé. Dire que la roue tourne. Que mon tour passe.
S’interrompt tout juste avant de passer.

L’écriture est ma main vide, sans relâche.

Hubert Le Boisselier

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