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Coralie Akiyama et l’expérience poétique

J’écris des poèmes lorsqu’une émotion me traverse, et n’imagine pas la poésie en dehors de cette nécessité d’écrire. L’émotion est à la fois fugace et obsessionnelle et l’expérience de l’écriture physiquement éprouvante. J’écoute cette émotion et essaie d’aller au plus près de sa vérité. Il n’y a pas de poésie sans cet état de bouleversement complet, ce moment où tout vacille. Le langage aussi doit trembler. Les mots sont comme des végétaux bruts qui doivent épouser la forme des tempêtes intérieures.

Je ne crois pas que tout ait déjà été écrit, du moins en écrivant je m’efforce de ressentir les choses d’une façon neuve. Je ne laisse pas le poème tranquille, je ne suis vraiment satisfaite que lorsqu’il m’étonne et m’échappe.

J’essaie d’avoir en permanence une double exigence de sincérité par rapport à moi-même et au lecteur – il est simple de fuir en écrivant, mais un texte resté dans le confort de la surface ne sera jamais fort – et d’universalité. Il ne s’agit pas d’écrire un journal intime. Je m’efforce quand je le peux de prendre de la hauteur. Dans mon dernier recueil publié cette année, Éternelle Yuki (Les Éditions du cygne), au-delà de ma fille c’est l’amour inconditionnel de la mère (c’est à dire de toutes les mères qui ressentent ce sentiment) que je décris, et, à travers chaque instant collectionné, je m’adresse au Japon tout entier. Même lorsque ce que je ressens est très personnel – une extase devant un paysage auquel peu ont accès, une chose unique, une relation – j’écris pour faire vivre cet éclat à d’autres, ou plus égoïstement, pour emporter le paysage ou le moment avec moi. Comme un enfant met le cailloux qui brille dans sa poche, avec une mentalité de voleuse-collectionneuse.

Je peux écrire mes romans ou pièces de théâtre dans des cafés mais je suis trop à fleur de peau pour écrire mes poèmes en public. J’ai l’impression que le genre poétique est plus intime que les autres, du moins en ce qui me concerne. Même lorsqu’il s’agit d’émotions positives et joyeuses, je ressens le besoin de fermer les yeux pour revivre un paysage, regarder des photos ou écouter de la musique jusqu’à me retrouver dans une sorte d’état de flottement.

J’écris sans aucune contrainte de forme. La seule exception a été le haïku : j’ai respecté autant que possible le rythme, la présence des « kigo » ou mots de saison et la césure. Pour le reste, j’écris avec une grande liberté, en inventant parfois des mots et en me passant de ponctuation.

Les poèmes du recueil Femme, si j’étais (Éditions PVST) qui sortira en fin d’année ont été qualifiés de très denses et mystérieux. Ceux deVivante-moi (Éditions Tarmac) sont plus incisifs, avec une plus grande oralité. Chaque thème appelle un style qui lui est propre : une douleur aigue engendrera par exemple un style elliptique et saccadé, tandis que des interrogations intérieures ronronnent. Le poème est une respiration.

Extraits :

Désordre avec vue, suivi de Sidérations, Éditions Douro, 2021

1.

Paupières fermées, les guerres

  picoteraient les yeux

 Le sommeil s’auréolerait d’un sang topographique

Le pas fier se salirait sous le ressemelage

Il ne serait pas trop tard pour marcher pieds-nus

2.

Prisme de bleus

La beauté 

coïncidait

avec toi

Fonte de l’oeil

Je n’ai que notre semaine dans la rétine

pour toute légende

Chère couleur

Un homme

Ma mythologie

3.

Beau comme un homme abattu

Par un arc de cascades,

Plongé bleu,

Doux de courants,

Le torrent silencieux jusqu’au visage dérivé

Shoshana, Éditions Douro, 2023

ICI, ON S’EXPOSE

Ici, on s’expose

Les cheveux imbibés de teinture

La teinture sous des films plastique

Les films plastique sur des terrasses de café

Ici, on s’expose

Les strings de bain jusqu’aux hanches

Les hanches de mers multicolores

Tranches vivantes de Yaacov Agam          

Ici, on s’expose

Mais pourquoi vous avez fait commencer la séance à l’heure ?

Hurle une dame à l’entrée d’un cinéma

Ici s’exposent

Des hommes torse nus groupés sous des cascades

Les poils de ville, débuts de fesses aux balcons

Les ventres d’avant la plage

Ici, on s’expose

Moi j’aimerais que toi aussi sans gêne tu t’exposeras

La ville, que la ville affûte tes fièvres en biseau

Les gravats de tes envies tombent de tes fenêtres

 DU SEL

Si sexuel,

Si envie de voler comme un plaisir féminin dans un tableau

Plein mordre dans le muscle d’une vague

Le long de tuniques vertes, de la ville partout

De dos à dos nus

D’une toute lumière inapte au secret

Entre les cheveux, Tel Aviv, sous les cheveux

Si passionnément

Si piquent voyagent les yeux

L’AMOUR AVEC A.

Lèvres déchiquetées qu’un baiser voulait encore

Poils que l’effort arabesque

Que le désir entre tes dents ne coagule

Vivante-moi, suivi de Toute fraîche agonie, Tarmac éditions

A terre il y a encore l’humour

Une avancée de soleil

Un texte qui se cabre

Mille façons de n’être pas encore mort

Celui qui a essayé de me tuer alors que je n’étais rien, aurait-il essayé de me faire vivre si j’avais été tout ? La montagne ulule pour seule réponse. Sans moi commence une résurrection. Me laisse à mon tout ou rien.

L’existence et ses carreaux de piscine

Il suffirait de déambuler en vagues

D’en oublier les bords

Éternelle Yuki, Éditions du Cygne, 2024

Revenir vivant d’un rêve et y laisser une fille un soleil imprimé sur l’oiseau.

Ma silencieuse me manque de mille feux éclatante comme un agrume sur un ciel lointain là-bas l’hiver régnait bleu roi.

Neige gracieuse et digne aux pattes fines comme une grue et si le temps perdu ne se réchauffait jamais

Coralie Akiyama – Bibliographie

Romans :

Recueils de poésie :

  • Désordre avec vue, suivi de Sidérations, Éditions Douro, 2021 (ISBN: 978-2-38406-002-3)
  • Vivante-moi, suivi de Toute fraîche agonie, Tarmac éditions, 2022 (ISBN : 979-10-96556-40-3)
  • Shoshana, Éditions Douro, 2023 (ISBN : 978-2-38406-223-2)
  • Éternelle Yuki, Éditions du Cygne, 2024 (ISBN : 978-2-84924-770-9)
  • Femme, si j’étais, PVST, 2024 (à paraître)

Pièce de théâtre :

  • L’Étape Zéro, Éditions ExAequo, 2023 (ISBN : 9791038805668)

 Anthologies :

  • Dirai-je oui, Revue Terre à ciel, anthologie sur le thème « Dire oui » initié par Florence Saint-Roch, 2020

 Revues :

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