L’ENFANT CHAMAN
Il fait un ciel
de vent
qui danse dans les feuilles
avant la chute
ici
rien ne s’ouvre
mais s’éveille dans un cauchemar
de chiffres et de fer
neige
des temps qui brûlent
et s’enlisent
aux sommets des schistes
aigus
leurs grammaires
de lignes fragmentées
jusqu’à l’extrême pointe
de l’Armorique
où se dresse le grand rocher
le sens totémique
des mots puissants
comme l’éclair
au-dessus de l’archipel
les jours de vagues vivantes
sur l’autre versant
des sables
l’esprit double
les récifs métaphysiques
qui séparent
et lient la fleur
au souffle cartographié
d’oiseaux hyperboréens
de l’enfance
à dos de rocs
je sais dit-il :
ce devenir d’icône
vertèbre au sable
coquille d’albâtre
semence aux abers
de bois flottés
l’anagramme d’écume
du flux dans l’anfractuosité
rugueuse du grand rocher
nu debout
entre deux hémisphères
le vent vacille
la lame du phare
dans le cercle
griffe des blocs
oblongs
à tête d’aigle
de l’île
son ciel dit :
je suis l’encre
des voyelles
de limon sur l’autre rive…
froid d’aube
trempée de peaux ciselées
de galets sous l’écorce
des lumières
avance un cargo
interlope rouge
à bec dévoré
de soleils bas
l’envol
au plus haut promontoire
éloigne l’église
son calvaire
le poids du royaume
de l’exil
au vent la nuit
nul centre
ne pèse
le sentier du vol
pèlerin sous le nom
s’ouvre l’estuaire
écoute ce qui va par les racines
aux muscles sous les pierres
de sel
la sève
sur la terre vaste
qui monte jusqu’au ciel
de tes pas
l’atlantique fantôme
diamant de l’immense
étreindre l’isthme
la fièvre d’une aile
sur les quartz
d’oiseaux
d’astres
mêlés de neige
au fond d’un puits
insondable
comme en toi
la parole
sa vigueur
d’os et de feu
***************************************************************************
SANCTUAIRE DU MILIEU DES VENTS
Faisceaux de lumière
boréenne venue brûler
les cendres
aux bords des terres
voler les yeux de givres
des vitres
enclins d’Orient
*
* *
J’entends et médite
l’orgiaque silence
phare
sémaphore
souffle
et cri des mouettes
dans l’épine des vents
l’oghamique pierre
brisée à l’enclume
des vagues
au couchant qui s’éteint
et brûle sous les lampes
celtes
d’exil est votre sommeil
passage par le visible
dans l’invisible d’une porte
*
* *
dans le jour un voyageur
viendra habité
du secret de l’oiseau
les sources de pierres
allumeront des feux
dans l’air s’entrechoquera
un silence d’arbre
auprès des eaux
*
* *
l’esprit du vent
au nord calligraphiera
les landes
sur les grèves un amphithéâtre
de mouettes
enseignera au regard
le non savoir du vol
*
* *
la présence sera ce lieu nul
et désert
sanctuaire du milieu vide
près de l’étang
où tant d’os blanchis
viennent crucifier les plaines
la dernière parenthèse
de lumière
soulignera d’ocre le chemin
nous saurons faire circuler
l’orage
et la pluie d’ouest sur l’archipel
où l’un sera le tout
au feu de l’aurore
comme un totem
libre aux falaises
d’ailes inversées
sur l’eau
fluide dans l’ombre
en cercle nous écouterons
la parole inscrire
l’empreinte de l’œil
sur la langue
*
* *
heureux dans l’air d’octobre
aux traits de feuilles
happés par l’infini
aveugle tu marcheras
longtemps dans le soir
de cendres rouges
et d’oiseaux de buée
car ivre
aux tambours de sables
tu verras ton moi
dissous par la lumière
pour les siècles des siècles.
***************************************************************************
DEUX PÔLES
À Paul Quéré
L’équivoque
d’un jour de cendre
d’orties
sur le miroir
de la chambre ouverte
sur l’archipel
tournoie
des sentes
de fougères aigles
ria
cap
squelette
fossiles
d’étoiles
cuites aux vasques
des roches quaternaires
dans la fissure
incendiée du ciel
l’arbre
l’ombre
aux doigts
d’écorces
sur la table
le livre
des continents
de l’esprit
sans boussole
là-bas l’œil
veille
aux interstices
du sable
en lui l’air
comme une poignée
de vol
respire
l’oblique
des vagues
des falaises
l’instant
ses copeaux
de galets nus
un silex
deux pôles
dans l’immobilité
d’un rivage
qui en nous se déplie.
*
* *
« … et quand je serai grand, je serai chaman,
révélateur d’énergie et passeur de gué… »
Jean-Loup Le Cuff
Sculpteur de totem
à cornes
en marche vers le couchant
des chemins d’Avallac’h
de l’esprit
au sens pluriel
nourri de l’arbre
entre les pierres
aux tempes
bat la source
sur l’enclume de l’air
du vide
que l’on plante
en soi
entre les lignes
qui tracent en nous
la terre silex
du passe
de l’autre côté
où blanc un fleuve
d’étoles et de foudre
berce l’éternité.
***************************************************************************
LA BAIE
Les mots substantiels
sont dans la terre
et la mer.
Walt Whitman
Être tout simplement
l’intime embrasure
silencieuse
d’où s’échappe le vol
lie tes os
à l’eau
de la baie d’algues rouges
d’où jaillira ce cri
dans l’instant déjà clos.
***************************************************************************
OSSATURE
La lune dévie
des signaux de roches
entre les pins
elle dit :
j’avance dans mes pensées
comme un goéland d’aurore
encercle le navire
j’habite
l’aveugle vacuité
liquide des désolations
l’incandescence
d’un lieu de sable
la cendre
l’aile
froide
des flottaisons.
***************************************************************************
LE RITUEL NOMADE
La langue
enlevée de la bouche
et qui veut revenir
c’est ce jeu rituel qui fonde le poème
Serge Pey
L’horizon
l’œil
la sécrétion
des lumières
ce long chemin
l’intime rotation
d’une barque
son ciel
en nous
sous l’arc
des pluies
errant
à l’aube
la lune
à l’angle
magnétique
du pôle
s’écarte de nous
l’oubli
d’être
l’instant
total
le cercle
la falaise
le cri
base d’envol
vivante
la pierre
archive ses cristaux
d’âge
ses lisières aux rudes
syllabes d’hommes
l’empreinte granitique
du présent
jusqu’aux limites
des roseaux
qu’emprisonne
la rosée
l’image
liquide du ciel
bascule nos mains
dans le feu
approche
à contre-jour
l’indicible
d’être ce que
tu vois
une géographie
de plaines à peaux
de visages
le lieu
ses ailes
de vents froids.
***************************************************************************
SUR L’ÎLE AUX CHIENS
L’anabase
des miroirs d’eaux
prononce l’aube
un reflet
investit d’azur
littoral de pierre
aux grèves
l’ossement rompu
d’un vol par sédition
de l’air
des pas
l’aveu
éphémère
rupture
d’empreinte
une faille
l’éruption
au nord runique
d’un gouffre
de roches sonores
l’envers
la trame
d’infini
silence
d’oiseaux
dans la sécheresse
des yeux
la durée
mica quartz
fantôme
désaltère
ta chambre
ton esprit
ta rame
l’œil
vers l’île aux chiens
amer
deux piliers
noirs
sur le blanc
paysage rituel
nomade
qu’appose son feu
sur l’erg des vents.
***************************************************************************
PÉNINSULE
Tandis qu’une nuée
d’oiseaux fous
lancent vers la terre
nue
leurs cris
contre le jour
au nord des péninsules
la forge d’écume
du vieux chaman
martèle les rocs
sous l’intangible
secret des vents
rivages infusés
d’aube rouge
écharpe de dunes
criste-marine
et carex des sables
bloc de quartz miroir
de la conscience reflétée
dans l’orbe des pierres
ce territoire du vide
sous les pas de sable
glisse l’Être au vent
comme une cime
qui vacille
boit cette eau
dionysiaque masque
liquide
de cristaux
sur l’onde
au pays des rochers noirs
dans la fumée de sel
où l’inconnu se déploie
halé par des vents d’ouest
pensée océanique
au souffle qui se perd
au sexe chaos niché
dans l’unité des grèves
l’esprit traversé
d’orages nomades
à l’aurore
d’un vol pivot
le crâne libre
sous l’aile
du temps
décousu
par des millions
d’oiseaux