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« D’un côté l’autre » d’Élisabeth Morcellet
Dans le tourbillon de l’être

D’un côté l’autre (La porte de Janus) d’Élisabeth Morcellet brouille toutes les pistes qui, tel le fil d’Ariane, mèneraient à la saisie du réel – donc de notre identité. Ce recueil est à l’image du Janus qui sous-titre cette œuvre, dieu romain, à la différence près que le passage qu’il propose n’aboutit jamais à un socle solide, définitif. Il devient ici à la fois le passé et l’avenir s’entrelaçant à l’infini.

            Nous sommes sans cesse déroutés, pour ne pas dire ensorcelés, dans le vaste tourbillon qui nous entraîne à travers les pages.

            La magie d’Élisabeth Morcellet s’enrichit du rythme, de l’élan où s’entrechoquent sans cesse des flopées d’antithèses, de reprises incessantes, qui amènent le lecteur à reprendre la phrase, à la faire renaître en lui pour battre de concert avec elle le tempo qui lui est propre et sans lequel toute intelligibilité se diluerait dans le néant.

            Il est certain de même que cet effritement du sens auquel nous convie l’écrivaine ne mène nullement au nihilisme – bien souvent narcissique par les temps qui courent… Une forme d’ivresse émane de la vitalité stylistique, qu’il est nécessaire d’illustrer ici par un exemple parlant : « Après, et bien, presque une chance, presque un signe des dieux, presque une apocalypse salutaire, presque une méditation pour tous, cette crise, cette grande crise pandémique, cette énormité ravageuse faisant trembler toutes les strates de la société, tous les pouvoirs les puissances, à en faire taire les combats les guerres, oui c’est vrai ça, engageant une mortalité à tous les étages […]. » (P. 51) On sent fondre l’individualité dans la grande dynamique universelle. Et les exemples pourraient se multiplier…

            Parvenus au bout d’une lecture qu’il nous aura fallu reprendre régulièrement, une oxygénation intérieure nous aura baignés. Avec elle aura été éveillé un scepticisme lumineux quant à la saisie de l’être de toute chose – excepté dans le logos. En cela aussi, nul doute qu’Élisabeth Morcellet ne soit d’une grande fidélité à l’égard d’un certain Héraclite…

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