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À force de mots

Je fais mon expérience des nuits froides

les dalles de pierre descellées

m’entendent

reliefs rugueux

où mes pas se reconnaissent mal

perdent le sens

à quoi je m’engage par le détour

je parle

de souvenirs disjoints

à partir des mots je fais des pensées remâchées

ouvrage de mots démis

repassés au tamis de mon lyrisme relâché

précipité douteux de l’or potable

compromis dans un verre sale

je goûte les reflets toxiques de la foi

j’appelle par mon nom des morts égarés

dans ma bouche cryptique

à demi-mots

à peine moi-même

mi-hommes mi-ombres

un instant je vois outre

je pense au-delà de moi

quand ils me répondent par ma voix

la roche mal taillée de ma langue

fourchée

écorche leur mémoire de métal impur

ma mémoire se fait matière

véloce

l’alliage élaboré par le poème

 

à force de morts

s’effacent les noms sur la pierre

où la mousse

ouvre des voies obscures

noms gravés dans la nuit de l’expérience

ô que vienne le renoncement

le repos

je pense à l’érosion

sur la peau de ceux dont je suis traversé

dans l’haleine fade des heures

je reviens vers moi-même

me retiens mieux ainsi

usé par les questions de la matière

retentissantes heures

questions au retour d’un mauvais sommeil

les joues creusées

retiennent l’ombre au tableau

je prends une inspiration profonde

avant qu’un matin se laisse concevoir

autrement

dans l’élégance d’un clair-obscur

l’écho atténué des pas illustres

dessine des plis sur le tissu ajouré

une maille à l’envers manque

à l’endroit où la poussière a laissé un signe

sur les chevilles battues par le pouls de la rhétorique

pour dire le tremblement amoindri de la lumière

sur le larynx de saint Antoine

parle la voix qui me retient

je me perds

me reconnais mieux ainsi

là où je ne me tiens déjà plus

à la fin du poème où je signe

me signe

me retire

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