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Hélène Révay

Hélène Révay est née à Paris en 1987. Après des études de philosophie à la Sorbonne, elle obtient un master de lettres. Son mémoire de fin d’études portait sur la poésie de Samuel Beckett.

            Elle publie ses poèmes en revues ainsi qu’un recueil, L’écaille de la nuit, chez Recours au poème éditeurs en 2015. En avril 2019 sort Poèmes sous-vide aux éditions Unicité dans la collection « Le Vrai Lieu » dirigée par la poète Laurence Bouvet.

            Hélène Révay écrit également du théâtre : Rhapsodie pour un autre monde, Les Bannis (petit drame en un acte).

            Sa première pièce L’Acteur lue et interprétée par le comédien et metteur en scène Jos Houben a fait l’objet d’une lecture en juin 2017 au théâtre des Bouffes du Nord à Paris.

Poèmes sous vide et l’expérience ontologique de l’écriture poétique

            Le recueil Poèmes sous-vide1 est la méditation existentielle d’une poétesse qui combat toutes les formes d’affaissement engendrant la médiocrité – celle du verbe comme celle de l’existence. Ce refus de toute compromission avec la bassesse humaine est notamment celle due aux tartuferies promulguée comme fausses valeurs. Mais cette œuvre est surtout et avant tout le chant de l’existence dans son urgence et sa beauté.

            Pour déployer cette ivresse du réel, comme toutes les vrais poètes, Hélène Révay ne sépare pas le sens et la forme, l’un se faisant le ciselage de l’autre. Ainsi, une rythmique en forme de balancement marque, dès le début, une mélancolie désabusée mélodieusement exprimée, bientôt contrebalancée par le dernier distique : « Et redonne à ton sang, / la grâce d’une espérance ». Ce poème nous donne à lire la mystique de l’aimé qui n’est plus et annonce la présence-absence qui nourrit notre âme dans ce qu’elle a de plus lumineux. L’expression de la nostalgie est ainsi dans un premier temps très présent, et nous nous sentons pris à partie dans une forme de dialogue où apparaît un mystérieux « autrui », dès le texte de la page 9, un « tu » à qui chaque lecteur donnera le visage de ce qui lui est le plus énigmatique – donc le plus lumineux : « tu acharnes tout ton être » / « Et je marche lucide dans ta nuit ».

            Cet écho se poursuit avec le témoignage de la beauté désabusée de ceux qui « n’ont pas la vigueur de mon âme. / N’ont pas l’envergure, / ni de ta foi, ni du soleil2 ». Le lecteur est envoûté par la mélancolie que ravive la beauté poétique du verbe d’Hélène Révay, nous faisant part de même, dans le poème s’ouvrant sur « Jadis3 », d’une nostalgie avec ces vers traversés par les imparfaits et les conditionnels, et où le verbe et le cœur constatent l’échec de leurs énergies passées.

            Toutefois, ce sentiment lyrique aux échos romantiques n’est que l’aurore de ce recueil si riche en nuances et en vécus. En effet, on s’y confronte très vite au rejet de cette « parole inversée4 », « comme lorsqu’on crie le soir, / quand on n’a rien à dire5 », de ce pur néant vidé de toute sa substance d’être à l’égard de ce qui permet au Logos d’habiter l’être de l’homme. L’habiter suppose de se mettre à l’écoute de ce qui nous relie à la totalité dont nous sommes partie prenante, à l’humaine condition qui sourde au fin fond de nous-mêmes. Cela apparaît dans le sublime poème – un parmi tant d’autres ! – dans lequel est écrit : « Ce qui devance la vision / n’a pas de plus pure destinée, / que de croire avant de croître6. » Cela qui devance, et nourrit dans un même élan, précède par sa puissance d’être et son énergie la vision fulgurante du scripte. C’est ce qu’expriment déjà les Blake, les Rimbaud, les Proust, chez qui tout style est vision. Ils s’accorderaient ici avec ce manifeste de la pure certitude de la foi en la force poétique.

            Cette force se fait de même agissante en rencontrant la puissance intemporelle qui traverse la totalité du réel et que ne ressentent que les voyants, les Hölderlin, les Dante, les Hugo, et dans laquelle ils se nourrissent pour amener à l’expression la marque de leur génie : « Et où les voix d’antan, un peu brisées, un peu fêlées, / nous récompensent de les avoir entendues, / avant même qu’on ne les ai écoutées7. » Ici se trouve la sublime évocation de l’expérience menée jusqu’aux limites de l’être et du dire, qui nous met en lien avec ce qui précède, est à la source même, de l’invocation poétique.

            Or, cette existence se doit d’être assumée et chantée jusqu’à sa plus extrême expérience. Ainsi, à la manière de Kierkegaard, « ma vie » doit être posée contre – et opposée à – « la vie », l’existence puissamment vécue contre la dilution de l’individu dans le ON impersonnel. Un poème8 est très explicite à cet égard : « La vie ? / Elle se retarde, elle est attardée ! (…) « Elle n’a pas la couleur qu’on lui prête / Elle n’est pas ma vie. (…) Si je n’écris pas, / je n’aurai plus qu’à feindre. » Ce refus pur et simple de la compromission continuelle à laquelle de l’énergie vitale que suppose la vie vécue dans toute sa vigueur est réitéré ici : « Je ne vivrai pas cet ordre, / selon lequel on soupèse, / minutieusement, et gâte sa vie. / Où l’on perd sa raison, / à la rationner, / (…) À perpétrer le sort, / et n’y voir qu’un destin9. »

            L’oeuvre de sincérité se doit de dépasser la tiédeur des compromis qui fuient la virulence du réel. Nietzsche le disait déjà qui affirmait qu’il « faut écrire avec son sang ». Le poème de la page 33 déclame superbement ce rapport à la cruauté nécessaire : « Mais comme il crie, / comme il gémit celui, / qui n’est pas arrivé jusqu’au seuil / de la désespérance. / Là où tout se parle dans la pénombre, (…) où tout s’écrit. » On retrouve chez Hélène Révay cet appel vécu et chanté d’une existence qui affirme : « Au-delà du rêve, il y a la vie. / Au-delà de la vie, la vie. / Griffe le jour, abats la nuit10 ! »

            Le lecteur qui se plonge et vit de l’intérieur ce recueil sentira ce qu’est – dont son sens le plus authentique – l’expérience poétique dans sa plus belle expression. Le génie ne sépare pas, dans la profondeur de son dire, le poème et l’éveil philosophique. Telle est l’une des nombreuses leçons de Poèmes sous-vide.

Jean-Yves Guigot

1 Poèmes       sous vide, éditions Unicité, Collection Le Vrai Lieu, 39      pages, 12 euros, 2e trimestre 2019.

2 P.     11.

3 P.     13.

4 P.     9.

5 P.     20.

6 P.     10.

7 P.     33.

8 P.     34. Nous trouvons de même à la page 23 un poème du refus de la           médiocrité existentielle, du refus du fade, de la sécurité à           tout prix.

9 P.     15.

10 P.   30.

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