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Jean-Claude Goiri et l'expérience poétique

Jean-Claude Goiri est poète, directeur des éditions Tarmac, et agit concrètement contre le poison de l’illettrisme, notamment au sein d’ateliers d’écriture. Parmi les recueils qu’il a publiés, nous avons Ce Qui Berce, ce qui bruisse aux éditions Vincent Rougier, Ressacs, œuvre illustrée par Ysabelle Voscaroudis, Z4 éditions, 2018 ou encore La part ductile de l’être, ensemble de Nouvelles et récits publié aux éditions Douro.

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Penser contre nature, la poésie défroque.


La poésie, c’est un rythme, un geste, une danse.

Je marche normalement dans la rue avec d’autres personnes qui marchent aussi normalement. D’un coup, je m’arrête, je prends possession de mon corps et je me mets à danser sans raison apparente. Je fais donc des gestes en dehors de la masse qui marche normalement, logiquement, je bouge contre elle et contre moi. Je deviens singulier, fou, je transmets un questionnement, des inquiétudes, des ravissements. Là est la poésie. Elle se situe dans cet écart. À l’encontre.

L’expérience poétique, c’est penser contre soi, c’est dessiner un corps nu dans le sable un jour de gros temps. La poésie se situe ainsi dans ce geste contre nature si la nature c’est aller de soi.

Générer la pensée par les doigts pour construire cet horizon qu’est le corps…. Raccorder le flux au flux, à cette parole incessante rebattue par ces êtres qui nous habitent à en devenir fou, ne plus savoir qui parle à travers quoi, à travers qui….

Écrire une expérience poétique c’est vivre la circulation de son sang, les battements du cœur sur les tempes, le frisson qui fait vibrer les poils, l’éternité de l’instant et l’angoisse qu’elle provoque, ce sont les pas comptés entre la chaise et la chaise.

C’est chercher ce quelque moi qu’il y a en Nous.

C’est tout ramener vers le bord,

            Rassembler les bras vers le corps pour tenir le coup au moment fatal, appeler les souvenirs qui viendront en aide quand ça ne tiendra plus, bien caler les pieds dans le vide pour que ça court devant le vent, tendre l’oreille avec les yeux et sentir que ça pousse le crissement des choses, tenir le ventre prêt à supporter la secousse qui va le retourner, ne pas oublier le nez qui devra maintenir la fragrance des dégâts et juste avant que ça tombe s’accrocher à la rampe avec la langue dehors juste dans la fissure.

Et ces quelques Nous qu’il y a entre moi.

Je suis tout un peuple qui veut danser contre mon corps statique, contre mon corps social, mon corps habillé, contre ces habits que la société me fournit pour entrer dans la norme, contre la fonction que je dois habiter pour gagner ma vie.

Gagner ma vie, être en fonction, c’est être utile.

Alors se défroquer de l’utile pour entrer en poésie, pour s’immiscer dans cet écart qui vous fera danser dans la foule ou dessiner dans le sable ou pianoter, ou jouer de la plume et du pinceau.

Contre toute attente, se surprendre à penser contre nature.

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